KiKu & Blixa Bargeld & Black Cracker

A l’occasion de l’édition 2018 du festival des Indisciplinées, nous avons eu la chance de rencontrer les membres de KiKu. Venus jouer leur second album avec le reste du collectif, le groupe a réalisé une prestation toute en maîtrise et nous a permis de vivre un moment musical impressionnant au Manège de Lorient.

  

Tout d’abord, KiKU est un duo suisse composé de Cyril Regamey à la batterie et de Yannick Barman à la trompette et à la composition électronique. Un duo touche-à-tout qui dure depuis une quinzaine d’années et qui continue de s’entendre à merveille. Entouré de tout un groupe de personnes qui les accompagne depuis de nombreuses années, le duo s’est d’abord constitué une base solide en Suisse.

« Le guitariste, David Doyon, nous suit depuis très longtemps, on a fait au moins trois formations différentes avec lui depuis dix ans. On travaille également avec les mêmes vidéastes et les mêmes graphistes. On est toute une équipe en Suisse et pas seulement pour ce projet en particulier ».

                                                  Yannick Barman

Parce qu’en effet, le collectif ne se résume pas qu’à ses trois musiciens. On retrouve Black Cracker, un poète slameur américain et membre du trio Grand Pianoramax, ainsi que Blixa Bargeld, le chanteur allemand culte d’Einstürzende Neubauten et ancien guitariste de Nick Cave and the Bads Seeds.

« Au bout de 10 ans, on a voulu faire un nouveau projet avec des voix parce qu'on ne l'avait jamais fait, nous raconte Yannick, on est tout de suite tombé sur Black Cracker mais cela faisait déjà longtemps qu'on voulait collaborer avec lui. Pour Blixa Bargeld, c'est en entendant d'autres projets auxquels il a participé que je l'ai contacté pour voir si cela pouvait l’intéresser ».

                          

                      Blixa Bargeld                                                                                              Black Cracker

Il est naturel de se demander, à première vue, si cette diversité de nationalités et d’univers musicales ne rendrait pas le contenu un peu contrasté. Sauf que toutes nos questions et nos craintes sont balayées en quelques secondes à l’écoute de ce groupe. On retrouve de nombreuses influences au travers des morceaux mais l’ambiance développée est on ne peut plus personnelle. Dans chacun de ces deux albums, il est possible de passer d’une poésie noire et mélancolique à quelque chose de plus électronique et plus fou, nous déboussolant alors avec cet ordre parfois brutal entre un univers et un autre.

« Tous les musiciens nourrissent cette musique avec leurs influences, leurs couleurs et leurs styles. Surtout pour ce deuxième album, tout le monde a vraiment mis sa personnalité dedans. Blixa nous a aidé pour les textes et il a décidé de la manière dont il allait les chanter, explique Cyril. C’est un peu le but d’avoir par moment quelque chose de continu puis, dans certains morceaux, quelque chose de plus cassé avec des changements de rythmiques un peu brusque ou des changements de couleurs qui sont très surprenants ».

                                                David Doyon

Le groupe explore un maximum afin de créer une musique expérimentale et ose même des choix surprenants. Tous les textes de ce second album, par exemple, sont issus d’un texte de Jean Paul, un écrivain allemand, soigneusement choisi par Blixa Bargeld.

« C’était un texte absolument inchantable parce que c’est de la prose. J’ai donc dû travailler avec un metteur en scène sur Berlin qui est germanophone parce que je ne maîtrise pas assez l’allemand pour pouvoir faire correctement des découpes dans le texte. Il fait une dizaine de pages et on a essayé de le rendre plus ou moins chantable, précise Yannick. Par contre, les textes en anglais de Cracker sont quant à eux paraphrasés.Il a raconté son histoire autour de l’autre histoire ».

Cette façon de faire est une évolution par rapport au premier album qui était quant à lui constitué de citations prises au hasard dans un livre. La prise de risque est grande car il faut être capable d’associer une ambiance musicale avec un texte qui n’a pour but d’être chanté. Le groupe ne souhaite pas seulement plaire par les paroles puisqu’il laisse une place prépondérante à l’univers qui est créé par leur musique en général. Il ne faut pas que réfléchir la musique, il faut également laisser ses sens agir.

« Même si on ne comprend pas l’allemand par exemple, on comprend le sens général de la chanson. C’est une musique qui est très imagé. Chacun peut se faire sa propre histoire avec l’écoute, il y a une liberté d’écoute. »

Une liberté qui se retrouve également dans le processus de création.Tout est déjà créé dès le commencement par Yannick qui compose les morceaux et qui les distribue aux autres membres du groupe. Blixa Bargeld et Black Cracker ont une totale liberté sur le texte et la façon de le chanter tout comme David Doyon ou Cyril Regamey qui sont libres de réinterpréter les compositions de base de Yannick Barman. Cette méthode de travail permet, selon eux, une certaine souplesse dans une œuvre très écrite, très électronique et expérimentale.

« Les compositions sont écrites et finies donc on sait ce qu’on doit faire. Après c’est la manière de le faire. Je peux interpréter les lignes rythmiques des compositions de Yannick, je peux les reprendre à ma sauce et apporter ce que j’entends, explique Cyril. De même pour David qui a une ligne mélodique ou rythmique de base qui est écrite. Sa personnalité fait ensuite que ce soit comme ça. On est tous en quelque sorte des arrangeurs du répertoire. »

 

Une ambiance qui était parfaitement retranscrite sur scène. Il était tout autant possible de retrouver ce qui caractérisait le style du groupe, que de vivre une véritable expérience live : Blixa Bargeld transperçant la salle d’une mélancolique froideur, sublimée par la trompette frissonnante de Yannick Barman s’élevant des abysses les plus sombres, pour atteindre l’énergie folle de Black Cracker. De la douce poésie noire à des moments d’extase musicale transcendantes, menés par les infatigables David Doyon et Cyril Regamey, les artistes ont impressionnés sur scène.

Ce génial projet est encore loin d’être fini selon le duo car un album est en préparation pour 2020. Les paroles seront cette fois créées par Black Cracker et Blixa Bargeld et il n’y aura plus d’histoires à suivre à travers l’album. Une preuve, qu’encore une fois, ils osent et renouvellent leur travail. La musique actuelle a besoin d’artistes de ce genre, qui se remettent constamment en cause, pour proposer des expériences toujours plus personnelles et uniques. La musique a besoin d’artistes qui se réinventent, qui souhaitent continuer de créer du mieux possible et qui font tout pour se donner les moyens de réaliser cela. Enfin, afin dattendre moins longtemps ce nouvel album, trois nouveaux singles sont prévus pour le printemps prochain. Alors commencez dès maintenant à vous préparer pour un nouveau voyage qui promet d’être intense et passionnant !

Article signé Léo Evin / Photos de Manon Sourice

 

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