Rencontre avec Jessica93

Punk dans l'esprit et à la dégaine foireuse, Geoffroy Laporte a accepté de répondre à nos questions avant de monter sur la scène du Manège à Lorient. Il nous raconte son histoire, l’évolution du groupe et nous exprime son point de vue sur le monde de la musique actuelle.

 

Comment tout a commencé ? Le nom, l'histoire ?

On a eu de la chance, c'est partie de façon farfelue. En fait, on habitait en colocation avec David Snug, célèbre et génial génie de la BD française. C'est les Inrocks qui le disent, on était en coloc, il organisait un concert et il lui manquait une première partie. Il m'a proposé de la faire en solo. Je jouais avec des groupes au début mais les groupes c'est chiant, faut toujours demander l'avis de tout le monde. Donc il m'a dit d’y aller tout seul, puis j'avais retrouvé une pédale de loop dans ma chambre qu'on avait volé je ne sais plus où et que je devais rendre sur Internet, ce que je n'ai pas fait. Je m'amusais avec et j'ai fait les premiers concerts. Au début, ça s'appelait pas Jessica, on a mit longtemps avant de s'appeler comme ça.  Il y a eu Jean Claude Bondy, Alpha Bondy parce qu'on habitait à Bondy.

 

Est-ce qu'au début, quand vous composiez tout seul, c'était compliqué?

Non en fait. A la base, je devais faire que des impros. Deux jours avant le fameux concert, je me suis un peu chié dessus du coup j'ai fait une répétition et en la faisant, le riff de « Dragon », par exemple, est venu tout de suite. Ça doit être le premier morceau que j'ai écrit pour Jessica. En faisant une répétition, je suis arrivé sur scène avec 3 morceaux à peu près. Ça a toujours été assez simple de composer, je me suis jamais vraiment pris la tête.

 

Comment vous composez vos titres ? Vous avez un ordre précis ?

En général, tout part de la boite à rythmes. Je pars beaucoup du rythme que je laisse tourner et après je prends une guitare ou la basse. Je laisse tourner, je m'amuse par-dessus et après il y a un morceau qui sort. Avec le nouveau disque j'ai un peu composé différemment parce que je savais qu'on allait pouvoir jouer en groupe sur scène. Je me suis un peu plus lâché dans le sens où je ne suis plus prisonnier des loops. Il y a pas mal de chansons où tout part d'un son qui tourne en rond mais bon, j'avais le loisir de tout « cuter » et de partir sur un refrain différent avec la boîte à rythmes. Je me suis un peu plus amusé à composer sur le dernier.

                                      Photo Mr G

Justement dans le dernier album, on reste dans une ambiance sombre mais votre voix est plus présente. Cette évolution sera elle encore plus poussée dans le futur?

Ça va encore plus se diriger dans ce sens-là parce que Vincent, qui enregistre les disques de Jessica depuis le début, ne voulait jamais me foutre de la reverb dans la voix donc c'est lui qui m'a poussé à blanc comme ça. Je pense que c'est la direction, c'est le début. Plus ça va aller, plus les morceaux vont être court et plus la voix va être présente à la Michel Sardou je pense. Je pense qu'à la fin on va faire du Michel Sardou !

 

Maintenant que vous êtes un groupe, peut-on dire qu’il y a un changement de style, une nouvelle manière de faire de la musique ?

Eux, ils jouent dans le groupe depuis le mois d'août donc là on a passé le mois à jouer des titres déjà finis. On n'est pas encore au stade où on va composer des nouvelles chansons mais je pense que ça va être assez simple parce que je vais faire venir une idée de base puis tout le monde va tourner autour de ça. Je pense que ça va se passer comme ça.

 

Votre musique n’est pas la plus écoutée, vous le méritez certainement plus, pourtant il y a une certaine consommation de musique chez les jeunes, est-ce frustrant ?

Je pense que c'est Universal et les gros labels qui décident de ce qu'on écoute, main dans la main avec les radios. Il y a toujours un mec qui est quelque part dans un bureau et qui va décider de ce que les jeunes vont écouter. C'est toujours et ça a toujours été comme ça. Soit t'as de la chance, ce mec tombe sur ta musique et tu deviens la nouvelle coqueluche, sois tu passes 20 ans à gagner ton audience en faisant des concerts partout. Nous, je pense qu'on est dans ce cas-là. On est encore à l'échelle du « Do it yourself », on n’a pas accès aux gros médias même si la presse est plutôt clémente. Ça s'arrête là et je ne pense pas qu'on fera Taratata un jour, et j'ai pas envie de tomber là-dedans de toute manière.

 

Votre musique a de nombreuses influences, on pense souvent à l'étrangeté et la noirceur de The Soft Moon ou de KVB par exemple, cependant votre musique reste avant tout personnel. Comment expliquer vous cette sensation et comment qualifieriez-vous votre musique ?

Pendant un moment la musique a été beaucoup influencée par le matériel que j'utilisais. J'utilisais des loops donc forcément je n'allais pas faire du punk rock ou du hardcore. C'est un peu venu comme ça avec les automatismes que j'ai chopé en étant gamin en mettant, par exemple, de la disto sur la basse. La guitare c'est pareil comme je suis un peu bordélique et que je ne suis pas très précis. J'ai tendance à cacher. Il y avait beaucoup de reverb sur les voix parce que je trouvais que je chantais comme un pied, du coup je camouflais le tout. Le son s'est un peu construit comme ça aussi, ce n'est pas voulu. C'est pas « j'ai envie que ça sonne comme ça » mais « oulala j'ai pas envie que ça sonne comme ça alors je vais camoufler le tout ». Dès fois c'est aussi simple que ça.

 

Justement vous utilisez le mot « bordélique ». Vos clips, tel que le nouveau « RIP in Peace » ou encore « Asylum », sont pour le moins originaux et bordéliques. Comment vous est venue l'idée de faire ça ?

Parce qu'on n’a pas de fric et qu'il fallait qu'on trouve une idée qui colle avec ça. Quand t'en a pas, t’essaies de te bouger et de trouver une idée. Pour le manège (dans « Asylum »), on passait souvent devant à Paris et puis on s'est dit « on pose la caméra et je tourne ».

Moi j'ai toujours l'idée que sur Youtube, ce n'est pas le clip qui va faire le nombre de vues, c'est la chanson. J'imagine que vous écoutez des morceaux où il y a juste la pochette et t'écoutes le morceau en boucle parce que ça te plaît. Le clip « Now » est un long générique parce que je me foutais de la gueule des groupes qui font des clips à la limite du court-métrage. Un mec marche dans la rue, un autre danse dans un pré et après ils vont te faire un générique pour te dire qu'à l'écran nous avons « machin », derrière la caméra nous avons « machin »... Comme si c'était un groupe de ouf alors qu'on est juste en train de parler d'un pauvre clip sur Youtube. C'était pour rigoler de tout ça. Pour le clip de « RIP in Peace », on était tombé sur cette idée de Kurt Cobain en faisant des calculs à la con et moi comme je suis un gros fan de vidéos de conspiration... C'était mon rêve absolu d'en faire au moins une dans ma vie.

 

Donc tous les calculs c'était vous ?

Ouais, on est parti sur les histoires de calculs à la fin et après j'ai écrit le reste. J'ai fumé un joint et en 2h c'était écrit. C'est important, pour faire de la conspiration, faut fumer un joint.

Vous n’êtes pas si diffusé que ça, pourtant, à titre perso et pour certains médias rock, on adore votre musique, comment l’expliquez-vous ?

Franchement j'en ai aucune idée. Ce qui est sûr, c'est qu'après « Rise » je voulais faire une pause. D'où les 3 ans entre les 2 disques. Une fois qu'on est allé balancer ce disque-là, on s'est pas mal demandé si tout le monde allait oublier cette musique et passer à autre chose. A priori les gens sont toujours là et ont toujours envie d'écouter cela donc c'est cool.

Quand tu regardes sur Itunes c'est vrai que le rock est vraiment au fond des choix. Même si nous on a l'impression d'avoir un petit succès, c'est quand même que 20k sur Youtube comparé à d'autres. Faut relativiser. Si c'est ça le succès du rock, alors effectivement, le rock est un peu dans la bouse en ce moment.

Je n'écoute pas trop ce qui passe sur NRJ ou à la télé. On en trouve quasiment plus non ? Parce que le Mouv' c'était une radio rock et ils ont virés rap en 2 sec. C'est fou que ça marche plus à ce point-là... Le rock est un peu mal barré mais ça n'empêche pas de vivre le principal, de s'éclater.

Je pense aussi que les jeunes d'aujourd'hui n’ont plus l'habitude d'écouter des albums, ils sont vachement chansons par chansons. Dans le rock, ça a toujours été une tradition de sortir des albums.

 

C'est vrai que maintenant on passe plus d'un titre à un autre avec les playlists qu'on retrouve sur Deezer ou sur Spotify.

C'est ça, tu pioches où t'as l'album. Les jeunes ont plus la notion d'acheter un disque physique et d'avoir une pochette. A notre époque, on était une bande de jeunes et on avait un disque qu'on se passait entre nous. Dès qu'un gars avait un disque, on se le prêtait entre nous et on passait 2 mois qu'avec ce disque. T'avais rien d'autre à te mettre sous la dent et même si aux premiers abords t'aimais pas trop le disque, tu l'usais jusqu'à la mort.  A la fin t'aimais bien ou alors tu te dis maintenant « ah ouais c'est toute ma jeunesse » alors que ce n'était pas génial. Il n'y a plus ça chez les jeunes.

 

Aujourd'hui les musiques sont disponibles partout.

Les gens prennent une musique, l'écoute 5 minutes et passent à autre chose.

 

Pour finir, vous n'avez jamais fait de grosses collaborations avec d'autres artistes. Est-ce que ce sera au programme bientôt ?

On a fait des petites collaborations mais j'aimerais bien en faire avec des potes finlandais. Faut que je me sorte les doigts du cul pour leur demander. J'ai peur qu'ils me disent non du coup je ne demande pas... C'est un peu comme quand tu veux inviter une fille à sortir quand on est à l'école. Faudrait que je demande à un pote qui leur dise : « Hey ! Mon copain là-bas il vous aime bien ».

Du coup, ça peut rebondir sur la question d'avant. Eux, dans leur pays, le rock est ultra-répandu, c'est ultra-commun et populaire. Je pense que ce problème est français. La France n'est pas le pays du rock'n'roll et tu l'as beaucoup plus ailleurs. Rien que des mecs qui se trimbalent avec des blousons en cuir, des cheveux longs... T'en croises pleins à Berlin par exemple. En Finlande c'est incroyable, il n'y a que ça. La première fois que j'y suis allé, c'était à un concert avec une fille voir « Santa Cruz ». C'était un revival de glam-rock mais à l'ancienne. Le guitariste faisait des solos avec le pied sur le retour et c'était tous les clichés. En fait, c'est normal pour eux là-bas. Je disais à la fille que j'avais jamais vu ça de ma vie, qu'en France c'est impossible de faire ça, c'est démodé. Ça dépend des pays et si tu veux apprécier du bon rock, il faut se barrer de France.

Belle phrase de fin non ?

Léo Evin / Photos de Manon Sourice 

 

 

 

 

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